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Homélie de Bruno Lachnitt, diacre, pour le premier dimanche de Carême

Bruno Lachnitt

L'évangile de ce premier dimanche de Carême nous invite au combat spirituel. Jésus est conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le diable. Le combat spirituel est bien différent de la mise en scène de l’affrontement du bien et du mal dans certains films ou séries télévisées. Il est intérieur et pour favoriser l'intériorité, pourquoi ne pas déjà faire un jeûne d’écrans pendant ce carême?

Je vous invite à considérer en quoi cette mise à l’épreuve de Jésus est liée à sa filiation, filiation que nous sommes appelés à partager dans son sillage. La tentation vient chercher à ébranler la relation au Père, à la pervertir.

Jésus jeûne et éprouve la faim. « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain ». « L'homme ne vit pas seulement de pain », nous avons entendu la suite dans le verset de l'acclamation : « mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Dans l'évangile de Jean, lors de la rencontre avec la Samaritaine, Jésus dit à ses disciples : « ma nourriture c'est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé ». Être Fils, c'est se nourrir d'accomplir la volonté du Père. On trouve une histoire de pain et de pierre dans l’évangile de Matthieu, au chapitre 7, dans un passage sur la prière : « Lequel d'entre vous, donnerait une pierre à son fils qui lui demande du pain ? » Luc dans le passage parallèle écrit : « Si donc vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient ». Une pierre, du pain, et entre les deux l'Esprit-Saint : que demandons-nous dans notre prière ? L'Esprit Saint ou quelque chose qui ressemble à changer les pierres en pain, quelque chose qui mette Dieu à notre service. Se servir de Dieu, c'est la première tentation, c'est précisément l'inverse d'être Fils. Voilà un premier indicateur de l'enjeu du combat spirituel : laisser Dieu à sa place et rester à la nôtre ! L'homme est créé pour servir Dieu, pas pour s'en servir.

 « Le démon l'emmena alors plus haut et lui fit voir d'un seul regard tous les royaumes de la terre ». Ce plus haut est d'abord dans l'imaginaire, où nous sommes conduits à nous mettre en surplomb, à nous donner de l'importance, à ne pas garder les pieds sur terre, l'humus qui a donné le mot humilité. « Je te donnerai tout ce pouvoir… car cela m'appartient et je le donne à qui je veux ». Tout nous appartient, « tout est à vous », écrit Paul aux Corinthiens[1], « mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » ! C'est encore une histoire de juste place, et d'être ordonnés, c'est-à-dire orientés. Combien de fois retenons-nous seulement de la phrase de Paul que tout est à nous, oubliant que nous appartenons au Christ. Le Père a tout remis entre ses mains, mais les mains du Fils ne peuvent rien retenir car il est référé au Père. Si la nourriture du Fils, c'est d'accomplir la volonté du Père, nous ne voyons trop souvent dans la volonté de Dieu qu'une concurrence qui contrarie la nôtre.  « Que ta volonté soit faite », nous l'exprimons alors comme la résignation à un sort contraire : nous ne retenons de l'accomplissement de la volonté de Dieu que les paroles de Gethsémani, sûrement mal comprises. Un deuxième indicateur de l'enjeu du combat spirituel auquel nous sommes invités en ce carême, c'est passer de la résignation au consentement. Car être Fils n'est pas subir la volonté du Père, c'est découvrir que servir Dieu est l'accomplissement de notre liberté alors que se servir de Dieu, c'est asservir l'autre.

« Si tu es le Fils de Dieu » : ce conditionnel revient à la troisième tentation, pour insinuer le doute, vérifier. Or l'amour repose sur la confiance ! La rompre, c'est tuer l'amour. « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ». Vérifie qu'il t'aime ! C’est comme si l'aîné dans la parabole du prodigue partait faire les quatre cents coups, juste pour voir si pour lui aussi on tuera le veau gras. Pervertir la gratuité du pardon en vérification comptable, préférer notre justice étroite à la surabondance de la miséricorde, mettre l'amour en équation, domestiquer le don, enfermer l'Esprit, voilà la plus grande tentation.

Passer de la résignation au consentement disais-je. Ici ce plus haut où le diable emmène Jésus, nous conduit plus loin. Il s’agit maintenant de passer du consentement à l'Alliance. Car l'Esprit qui nous pousse au désert est l'Esprit de l'Alliance nouvelle comme dit le livre du prophète Osée : « Eh bien, c'est moi qui vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur »[2].

Mais pour mener ce combat spirituel il ne s'agit pas d'abord d'efforts, de privation, de jeûne, même si je le suggérais en commençant s’agissant des écrans. La première lecture du Deutéronome nous donne une indication : « Mon père était un Araméen errant… » Quel beau texte qui nous invite à rester nomades, les reins ceints comme à la veille de la Pâque. Lâcher ce qui nous tient, laisser ce qui nous encombre, déplacer le centre de gravité de notre vie pour être pèlerins. A chacune et chacun de nous de voir ce qui s'oppose à cette liberté dans sa vie.

« Il y vécut en immigré… Les Egyptiens nous ont maltraités, et réduits à la pauvreté … ». La suite fonde dans la Bible l'accueil de l'étranger, "car tu as été étranger au pays d'Egypte". Être frères de sang ne dit rien de plus que notre commune filiation charnelle, être frères d'armes ne dit que notre appartenance au même peuple, à la même nation… Seule la fraternité avec le plus différent, le plus lointain, l'immigré, le pauvre ou l'opprimé, signe vraiment notre divine filiation. C'est en vivant cette fraternité-là comme des pèlerins que nous sommes invités à être fils et filles de Dieu, en Le laissant prendre sa place dans nos vies, en passant de la résignation au consentement et du consentement à l'Alliance.


[1] 1 Co 3, 23

[2] Os 2,16

 
 
 

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