Homélie de Bruno Lachnitt, diacre, pour le 26ème dimanche ordinaire de l'année C
- Bruno Lachnitt
- 28 sept.
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Dimanche dernier, dans son homélie, le Père Bernard VIGNERAS s’écriait : « Au secours, Amos, reviens ! » Et aujourd’hui, ça tombe bien, car Amos revient avec des paroles plus virulentes encore que dimanche dernier. Nous pouvons éprouver parfois de la colère partagée avec ceux qui vivent la pauvreté, et le texte d’Amos y fait écho. Le journal La Vie titrait récemment "La crise de confiance, peuple et élites, la grande fracture ?", avec un point d’interrogation, certes, mais la question est posée. Et Benoît XVI écrivait dans Deus Caritas est : « Un État qui ne serait pas dirigé selon la justice se réduirait à une grande bande de vauriens, comme l’a dit un jour saint Augustin ». Et il est tentant de considérer nos dirigeants qui nous ont endetté en creusant les inégalités comme la bande de vautrés vilipendés par Amos.
Mais si l’on peut éprouver quelque jouissance à entendre la diatribe d’Amos, nous sommes appelés à nous laisser interroger par cet évangile qui ne peut seulement conforter notre sentiment d’être « du bon côté » dans un contexte social toujours plus clivé où les inégalités augmentent. La parole est parole de Dieu quand elle nous bouscule et nous met en route. Et s’il fallait nous projeter dans cette parabole qui met en scène le pauvre Lazare et ce riche qui n’a pas de nom, comme si son identité se résumait à son argent, il est peu probable que nous puissions sans mentir nous mettre à la place du pauvre. La pointe : « S'ils n'écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts : ils ne seront pas convaincus », nous vise autant que les auditeurs de Jésus.
Bernard évoquait dimanche dernier le trésor de l’enseignement social de l’Eglise. Pour y puiser un peu en écho à ces textes, je citerai juste Populorum progressio de Paul VI, aux numéros 47 et 49 : « Il ne s’agit pas seulement de vaincre la faim ni même de faire reculer la pauvreté. Le combat contre la misère, urgent et nécessaire, est insuffisant. Il s’agit de construire un monde où tout homme, sans exception de race, de religion, de nationalité, puisse vivre une vie pleinement humaine, (…) un monde où la liberté ne soit pas un vain mot et où le pauvre Lazare puisse s’asseoir à la même table que le riche. (…) Il faut le redire : le superflu des pays riches doit servir aux pays pauvres. La règle qui valait autrefois en faveur des plus proches doit s’appliquer aujourd’hui à la totalité des nécessiteux du monde. » « Sinon, ajoutait Paul VI, l’avarice prolongée [des riches] ne pourrait que susciter le jugement de Dieu et la colère des pauvres, aux imprévisibles conséquences »[1]. C’était en 1967. Il nous est facile de dénoncer le terrorisme des imprévisibles conséquences de l’expression de la colère des pauvres, comme si notre insouciance n’y était pour rien. On pourrait par exemple comparer les évolutions respectives des sommes consacrées à l’agence chargée de la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne et celles consacrées à l’Aide Publique au Développement. C’est tristement éloquent !
Si nous sommes « du bon côté » ce n’est pas au sens où l’illusion pourrait nous le faire croire. Nous sommes du côté des nantis, et aux yeux de celles et ceux qui risquent leur vie sur de fragiles embarcations pour traverser la méditerranée, nous ressemblons peut-être à la bande de vautrés décrite par Amos. On est toujours dans le mensonge quand on place entre soi et les autres la frontière entre bien et mal, justice et injustice. Elle traverse chacune et chacun de nous.
L’évangile de dimanche dernier nous invitait à nous faire « des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là (l’argent), ces amis [nous] accueillent dans les demeures éternelles ». Rien que ça ! Mais qui sont ces amis que nous pouvons nous faire avec l’argent malhonnête qui peuvent nous accueillir dans les demeures éternelles ?
La réponse est dans l’évangile d’aujourd’hui qui n’est pas tant une description de la vie après la mort qu’une indication sur qui peut nous accueillir dans les demeures éternelles. Car cette parabole nous dit que ce sont les pauvres qui peuvent nous accueillir dans les demeures éternelles où ils ont une place de choix. Ce sont eux, ces amis que Jésus nous invite à nous faire avec l’argent, qui reste malhonnête tant qu’il est accumulé à leurs dépens. Saint Vincent de Paul, que nous fêtions hier, disait qu’il faut se faire pardonner par les pauvres ce qu’on leur donne. Car on ne fait finalement que leur rendre ce qui leur appartient, selon le fondement même de l’enseignement social de l’Eglise que rappelait Bernard dimanche dernier : la destination universelle des biens.
Alors plutôt que de nous défausser sur les vautrés qui sont au-dessus de nous, demandons la grâce de nous convertir un peu plus au partage, d’ouvrir les yeux sur celles et ceux que nous ne voyons plus, de nous laisser déranger, car c’est le Christ lui-même qui frappe à notre porte. Amen !
[1] n° 47,49 (Le discours social de l’Eglise catholique de Léon XIII à Jean-Paul II , CERAS p 517-518)




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