Homélie de Bruno Lachnitt, diacre, pour la fête du Christ-roi le 23 novembre 2025
- Bruno Lachnitt
- il y a 1 jour
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La fête du Christ-Roi, née dans le contexte d’une affirmation de l’église catholique en opposition à la modernité, n’est pas exempte d’ambiguïté. Aujourd’hui encore, la tentation existe d’une affirmation identitaire de nos racines chrétiennes contre les croyants d’une autre religion ou l’étranger ressentis comme une menace. Mais l’évangile que nous offre la liturgie remet les choses à leur juste place : nous fêtons un roi sans armée qui nous invite résolument à nous avancer comme des pauvres dans ce monde déchiré. L’aumônier de prison que je suis, lit avec un regard particulier ce récit du Christ en croix entouré de deux condamnés à morts de droit commun crucifiés avec lui. On ne sait pas pourquoi ils sont là, comme j’ignore souvent la raison de la présence en prison des personnes détenues que je visite. L’un des deux ici exprime que pour eux c’est juste après ce qu’ils ont fait au regard de Jésus qui n’a rien fait. Mais ce qu’il a peut-être fait de si insupportable, c’est de révéler un Dieu au milieu d’eux précisément. L’autre se moque comme les chefs présents et la foule : « Sauve-toi toi-même et nous avec ! ». Mais son compagnon lui réplique : « Tu n’as donc aucune crainte de Dieu ! » La crainte de Dieu à quelque chose à voir avec le respect de cet innocent, torturé et mis en croix avec eux. Ce qui m’inspire le respect, dont je n’ai pas envie de me moquer ni de rire, c’est le pauvre, le vulnérable, le fragile en qui je reconnais plus grand que moi, et la crainte de Dieu se vérifie là précisément. L’exhortation apostolique du Pape Léon, Dilexi te[1], « je t’ai aimé », ne dit pas autre chose.
Dans les psaumes, les impies qui ne craignent pas Dieu ne sont pas ceux qui ne sont pas pieux ou ne vont pas au temple, mais ceux qui ne respectent pas le pauvre, l’exploitent ou l’oppriment, ceux qui abusent du faible. Et au chapitre 19 du livre du Lévitique, on lit : « Tu n'insulteras pas un sourd, tu ne mettras pas d'obstacle sur le chemin d'un aveugle : tu craindras ton Dieu. Je suis le Seigneur ». La connaissance de Dieu est intimement liée au respect du faible et du fragile. C’est le premier point que je voudrais souligner en écho aux textes de ce jour.
Le second est dans la deuxième lecture de Paul aux Colossiens : « il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres » ! Arrachés, c’est violent : quand on bricole, si on arrache quelque chose au lieu de le dévisser ou de le démonter en suivant la notice, ça laisse des traces. Ce n’est pas sans souffrance que Dieu nous libère du pouvoir des ténèbres, j’en suis souvent le témoin dans l’accompagnement de personnes détenues, mais cela vaut aussi pour nous. Encore faut-il être consentant, Dieu ne nous arrache pas malgré nous. Et le pouvoir des ténèbres est d’abord quand nous désespérons des autres et de nous-même. Et quand nous sommes arrachés au pouvoir des ténèbres dit ensuite le texte, nous avons la rédemption, le pardon des péchés. La rédemption, c’est être rachetés. C’est le mot qu’on emploie pour les captifs, qui sont otages : on les rachète, et au moyen-âge des religieux consacrés au rachat des captifs pouvaient s’offrir en échange pour leur libération.
Celles et ceux que je visite en prison portent parfois le poids d’une culpabilité qui les écrase et m’inspire beaucoup de compassion. Je pense souvent à un homme qui avait commis un acte abominable. Comment lui témoigner la miséricorde de Dieu sans se contenter de belles paroles qui ne coûtent pas cher et seraient une insulte pour les victimes ? Et comment peut-on vivre en portant un poids pareil ? Il n’a pas pu et on l’a trouvé pendu un jour où je venais le visiter et j’ai dû aider les surveillants à la décrocher.
« Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le paradis ». C’est dans une communauté de destin, condamné à mort avec eux, en consentant à être au milieu d’eux la victime innocente de notre violence, que Jésus leur révèle qu’un amour absolu les attend au bout du chemin, si douloureux et tourmenté soit-il. Et le premier des croyant est un condamné à mort qui dit lui-même qu’il est juste qu’il soit pendu au gibet de la croix et qui est un exemple pour chacune et chacun de nous. Au lieu de blasphémer comme l’autre qui dit « sauve-toi toi-même et nous avec », il dit « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ». Mais quel royaume ? Ils sont là, exposés en proie à la torture de la croix, rien d’autre à l’horizon que l’agonie d’une mort inéluctable. Et pourtant, il pose cet acte de foi incroyable ! On peut penser à Jacques FESCH, condamné à mort pour meurtre, guillotiné le 1er octobre 1957 qui écrivait de sa cellule : « Je sais maintenant que tout est grâce et que ce n'est pas vers la mort que je vais mais vers la vie ». Si des chrétiens jugent qu’il n’y a rien à espérer des délinquants ou des criminels, ça laisse à penser que pour eux, comme le chantait Brassens, l’évangile c’est de l’hébreu. L’espérance que nous mettons en Dieu se vérifie dans notre capacité à mettre notre espérance en l’autre et à ne pas désespérer de nous-mêmes. Des personnes détenues ont écrit cette prière pour le Jubilé : « Père, Roi des cieux, hors les murs et dans les murs, en notre frère Jésus, votre fils, vous nous avez redonné la foi, l’envie de faire partie de votre bande plutôt que de celle d’un autre moins sûr… Courbés sous le poids de nos sacs, parfois bien lourds, nous marchons plein d’espérance d’une vie meilleure et d’avoir part aux bienfaits de votre royaume… »
Puisse la contemplation de ce roi impuissant, crucifié au milieu de deux condamnés de droit commun, nous ramener à la révélation nue et déroutante de l’évangile. Il est promesse de réconciliation et de rédemption pour celles et ceux que les logiques institutionnelles, même religieuses, laissent trop souvent sur le bord du chemin. Ce règne dont nous appelons chaque jour la venue par la prière que Jésus nous a apprise, nous y goûtons déjà quand nous prenons la tenue de service. Le règne de Dieu c’est, comme dans le Magnificat, quand nous sommes renversés de nos propres trônes par Celui qui est l’amour même !




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