Homélie de Bruno Millevoye, 3e dimanche de Carême, 12 mars 2023
C’est une rencontre inattendue au bord du puits. Pas n’importe quel puits, le puits de Jacob. Jésus est fatigué. Il demande de l’eau à une Samaritaine et une conversation s’instaure entre eux. La samaritaine s’attache à des aspects matériels : « Le puits est profond. » ou bien « Ah, si je pouvais ne plus avoir à venir puiser. » Jésus s’attache à la dimension spirituelle de la réalité. Nous avons besoin d’eau mais de quelle eau ? « Si tu savais le don de Dieu, il t’aurait donné l’eau vive » ; « l’eau que je donnerai deviendra une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. » Le contraste entre cette attention à la dimension matérielle de l’existence et sa dimension spirituelle m’a fait penser à notre situation.
Nous avons bu de l’eau en abondance, nous l’avons consommée sans frein mais bientôt le puits sera vide. Peu importe la longueur de la corde ou la profondeur du puits. Si nous n’apprenons pas à aimer une eau qui n’est pas matérielle, qui n’est pas au bout de la queue au magasin ou de notre commande sur Amazone, nous mourrons de soif. Aimer l’eau vive n’est pas une simple option, mais une nécessité.
J’explicite ma pensée à travers ce qu’écrit le pape François dans son encyclique « Laudato Si » consacrée à la situation écologique qui est la nôtre. Je cite :
III. LA CONVERSION ÉCOLOGIQUE
217. S’il est vrai que « les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands », la crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure.
IV. JOIE ET PAIX
222. La spiritualité chrétienne propose une autre manière de comprendre la qualité de vie, et encourage un style de vie prophétique et contemplatif, capable d’aider à apprécier profondément les choses sans être obsédé par la consommation.
La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu…
223. … On peut vivre intensément avec peu, surtout quand on est capable d’apprécier d’autres plaisirs et qu’on trouve satisfaction dans les rencontres fraternelles, dans le service, dans le déploiement de ses charismes, dans la musique et l’art, dans le contact avec la nature, dans la prière. Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie.
J’ai conscience d’avoir pris un raccourci et d’avoir simplifié la distinction entre matériel et spirituel. Par exemple, une peinture est matérielle en même temps qu’elle nourrit notre esprit. Pour lire, nous avons besoin de papier. Mais dans le contexte qui est le nôtre, qui suppose que nous arrivions à nous convaincre de changer notre rapport aux choses matérielles et que nous offre gratuitement la planète, je trouve pertinent de nous arrêter sur la façon dont Jésus cherche dans un dialogue à mettre en valeur une réalité spirituelle à travers un objet matériel qui est l’eau.
C’est un enjeu qui n’est pas d’aujourd’hui et qu’un prophète comme Martin Luther King avait déjà mis en évidence au siècle dernier :
« Le problème majeur auquel doit faire face l’homme contemporain réside dans le fait que les moyens qui nous font vivre ont dépassé les raisons spirituelles qui leur donnent sens. »
Comment aimer ce qui est spirituel ? Comment apprendre à nous passer des biens matériels dont la consommation a épuisé la planète ?
Comment Jésus s’y prend-il pour convaincre une femme puis tout son village que l’eau vive, l’eau de la vie éternelle, peut les combler ?
Je ne vous donne que les points principaux de la méthode.
Le premier est la présence. Jésus est là. Il est fatigué comme nous, il a soif comme nous. Le second point est l’échange, le dialogue que Jésus initie par une demande. J’ai besoin de toi. Le troisième est le dépassement de l’opposition qui empêche le dialogue. « Comment toi un juif, tu parles à une samaritaine. » Le quatrième point est l’épreuve de la vérité. C’est le passage sur le nombre de maris de cette femme. Peu importe le nombre, ce qui compte c’est qu’elle parle en vérité. Le cinquième est l’épreuve du temps : « L’un sème, l’autre moissonne. »
Il y a bien d’autres subtilités dans tout ce qui conduit cette femme et les hommes de la ville de Sykar à être convaincus.
Je termine par une objection que vous pourriez me faire. Cet échange entre Jésus et la samaritaine a pour but de nous convaincre que Jésus est la source jaillissant pour la vie éternelle. Or, la vie éternelle n’est pas l’éternité ou le prolongement de notre civilisation.
Je suis d’accord.
Simplement, en attendant, et c’est toute notre tradition qu’a honoré le pape François dans son encyclique que j’ai citée, nous sommes appelés à être témoins ici et maintenant de l’espérance, celle dont parle Paul, celle qui a été l’objet de notre échange avec également la confiance et l’amour.
L’espérance, c’est à la fois une conscience de l’avenir et une action dans le monde présent qui est bonne. Et dans ce monde fini, pour agir bien, nous avons le droit d’user de toute l’intelligence dont a fait preuve le Christ, aussi bien pour révéler qu’il est le Sauveur, que pour guérir un aveugle de naissance ou pour oser demander à Lazare de sortir de son tombeau. Ce sont les évangiles de ces prochains dimanches. Puisque nous devons mourir, autant que ce soit en goûtant à l’eau vive, l’eau que donne Jésus, l’eau jaillissant pour la vie éternelle.
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