Les textes que la liturgie nous propose au cours de cette veillée retracent cette histoire sainte qui est aussi la nôtre. Tout homme est une histoire sacrée écrivait Patrice de la Tour du Pin. Notre propre histoire, relue à la lumière de celle du peuple d’Israël dont la Bible nous livre le récit, est appelée à devenir sainte.
Nous la relisons comme les disciples d’Emmaüs, éclairés par le Christ, pour y trouver la clé du mystère dont nous faisions mémoire hier encore et sur lequel bute notre intelligence : le Fils crucifié. Le Verbe fait chair, chair mise hier au tombeau. « Il a été crucifié, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers » allons-nous confesser tout à l’heure comme chaque dimanche. Or que nous disent ces textes que nous venons de réentendre ?
La lecture de l’Exode dit que Dieu ouvre un passage là où il n’y a qu’impasse à nos yeux. Elle choque aujourd’hui, car comment concilier la bonne nouvelle de l’évangile et l’image d’un Dieu qui tuerait les Egyptiens ? Mais la mémoire d’un événement libérateur est relue comme l’expérience que Dieu est un Dieu qui libère, pas seulement jadis, mais aujourd’hui. Dans nos vies aussi, il faut du temps à partir d’une expérience ou d’une rencontre qui nous sort de l’esclavage, pour passer de l’image magique d’un Dieu marionnettiste qui tirerait les ficelles de nos existences, à la révélation de ce Dieu dont la toute-puissance se révèle dans le consentement au plus grand dépouillement pour traverser l’épreuve avec nous et y ouvrir une brèche. Ainsi faudra-t-il des siècles au peuple d’Israël pour pouvoir entendre la révélation d’un Dieu qui se dépouille de sa divinité et va jusqu’à mourir sur une croix. Et les contemporains de Jésus, et les disciples eux-mêmes, attendaient encore un Messie libérateur qui chasserait les Romains et rétablirait la royauté en Israël.
Mais la deuxième lecture d’Isaïe nous alerte : « Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, – oracle du Seigneur ». Il s’agit bien de lâcher nos fantasmes projetés sur l’image que nous nous faisons de Dieu pour nous laisser convertir à une révélation qui nous déplace, à ne pas nous « fatiguer pour ce qui ne rassasie pas » mais « chercher le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ». Alors il « montrera sa miséricorde » car « notre Dieu est riche en pardon » disait encore Isaïe.
La Parole de Dieu faite chair est passée par la mort pour y ouvrir une brèche comme autrefois son souffle ouvrit un chemin dans la mer. Ce plongeon dans les profondeurs ouvre pour nous un chemin où Il nous entraîne derrière Lui. C’est ce que le baptême réalise en nous : « nous tous, qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés », dit Paul aux Romains et « si nous sommes déjà en communion avec lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons encore par une résurrection qui ressemblera à la sienne ».
Ce que nous dit cette histoire sainte peut trouver un écho dans nos histoires singulières, en donner la clé, les éclairer. Chacun de nous peut éprouver que Dieu libère, que l’expérience du pardon nous dit quelque chose de Lui, chacun de nous fait dans sa vie des expériences de mort et de résurrection qui ouvrent à la grâce reçue par le baptême. Cléa, Paméla et Marine, qui allez être baptisées tout à l’heure, pourriez sûrement en témoigner.
Nous avons appris par ce Carême que nous ne pouvons ressusciter en évitant la mort. Être en communion avec le Christ par une mort qui ressemble à la sienne, c’est rejeter tout ce qui nous retient captifs pour nous livrer tout entier à l’amour qui l’emporte sur la mort. Le passage est ouvert, c’est la Joie que nous laissons éclater cette nuit. Le Don est le plus fort, il emporte tout sur son passage, mais au-delà de l’épreuve que nous sommes invités à traverser avec le Christ.
La bonne nouvelle de cette semaine sainte que nous venons de vivre, c’est que Dieu n’est pas le spectateur lointain de nos souffrances. Par la folie de la croix et le passage au tombeau, la projection fantasmée d’un Dieu lointain et tout-puissant est devenue la révélation d’un Dieu proche et aimant. Un Dieu qui partage notre condition humaine, même l’angoisse de la mort… Le Très Haut s’est fait Très Bas pour mieux nous relever, il vient jusqu’à nous pour nous chercher, pour nous prendre par la main comme le Christ descendu aux enfers entraîne Adam et Eve sur une magnifique icône de la résurrection.
L’heure est venue de saisir la main qu’Il nous tend, de prendre tout simplement la décision d’aimer mieux, d’aimer plus, de nous laisser aimer par Celui qui, de toute éternité, est la source de tout amour… Pâques ouvre une brèche dans nos enfermements, nos résignations, nos peurs. C’est le temps de tous les commencements – quel que soit notre âge, notre histoire, nos blessures, la culpabilité qui nous écrase parfois – Dieu vient nous recréer, comme il a créé le ciel et la terre. C’est le temps de l’exode, de la traversée à pieds sec de toutes les mers déchaînées de nos existences. Christ a ouvert une brèche, il est passé en tête, nous pouvons espérer !
Je vous souhaite une joie profonde, pas artificielle, démonstrative, mais la joie discrète et solide de la source au fond de soi qui susurre que l’amour aura le dernier mot. L’espérance de Pâques, c’est qu’Il est plus fort que la mort. Mais le tombeau vide n’est le signe de cette victoire que pour qui se laisse brûler le cœur par la Parole qui dit l’amour infini de Dieu.
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