Je me suis arrêté sur un mot, une expression « Le Fils de l’homme. » C’est une expression qu’on retrouve dans l’évangile et en particulier à de nombreuses reprises dans l’évangile de saint Matthieu. Qui est-il ? Quel est ce personnage mystérieux ? (Equivalent avec Melchisédech, personnage qui sort de nulle part et en même temps qui est important.) Quand on cherche l’origine de cette expression avec un bon dictionnaire (comme celui qui est sorti en 2021 sur Jésus sous la direction de l’école biblique de Jérusalem), on apprend que cette expression est déjà utilisée dans le livre de Daniel qui appartient à la littérature apocalyptique avec son langage si déroutant. Ce serait une explication de sa présence dans les évangiles. Mais il y a une deuxième explication beaucoup simple et avérée. Jésus emploie cette expression dans le sens commun, banal d’homme parmi les hommes. Cela veut dire que tout au long de l’Evangile, Jésus fait le choix de se projeter dans une figure à la fois ordinaire, l’un de nous, et indéfinie.
Prenons l’évangile d’aujourd’hui : « Quand le fils de l’homme viendra dans sa gloire » on se dit qu’il s’agit de Jésus. CQFD. Sauf que Jésus ne le dit pas. Il aurait pu dire « Quand je viendrai à la fin des temps après la résurrection. » Non. Il fait le choix de présenter de façon indéfinie celui qui vient pour juger le monde. Et ça n’est pas rien de juger le monde.
(Il ne fait pas de doute que Jésus a employé cette expression. Nous ne sommes pas dans une reconstruction liée à la rédaction.)
Ainsi est posée une distance, une indétermination entre celui qui est notre juge mais aussi notre sauveur et donc au cœur de notre foi, notre absolu Jésus et ce Fils de l’homme. Jésus nous oblige en employant l’expression « Fils de l’homme » à maintenir une distance, une indétermination entre lui et nous.
Quel intérêt cela a-t-il ? Pourquoi cette subtilité ? Pourquoi Jésus ne nous dit-il pas « Quand je viendrai, moi que vous voyez et entendez ? » Pourquoi le Fils de l’homme ?
Voilà ma proposition.
Pour vous la présenter, je fais le détour (restez avec moi) par un dialogue entre deux penseurs chrétiens, un théologien Hans Kung et un philosophe Paul Ricoeur. Ce dialogue date de 1996. Il a plus de 20 ans mais il est toujours d’actualité. Ces deux personnalités réfléchissaient à la possibilité d’un dialogue entre religion pour la raison simple que les religions, au lieu de favoriser la paix, sont sources de violence et provoquent parfois la guerre. A l’époque c’était l’Irlande, la Yougoslavie, déjà le Moyen-Orient. Tous les deux convenaient que la religion n’est pas directement facteur de violence ou de guerre. Il y a d’autres facteurs qui jouent un rôle : politiques, économiques, sociaux, historiques. Mais ils convenaient également que les religions, particulièrement les religions monothéistes parce qu’elles se pensent en rapport avec un absolu qui est révélé ont du mal à admettre qu’une autre religion porte un absolu différent. Prenons notre situation. Nous sommes chrétiens. Jésus est notre absolu. Nous vivons avec des amis musulmans dont l’absolu, je ne sais pas comment ils l’exprimeraient mais est « Dieu et Mohamed est son prophète. » Chacun porte légitimement quelque chose d’intense en lui qui le fait vivre. Est-ce négociable ? Peut-on se parler, dialoguer, vivre ensemble ?
A un moment de cet échange donc, Paul Ricoeur fait la proposition suivante ! (Le philosophe est meilleur que le théologien…)
J’ai un peu adapté son propos qui est tiré d’un dialogue pour vous le présenter comme un monologue.
« Chacun, sous-entendu chacun porteur d’une foi en un absolu, d’une foi qui le fait vivre et qui n’est pas a priori négociable, est appelé à aller chercher au plus profond de sa tradition ce qui le rejoint souterrainement, mais à un point que précisément aucun ne maîtrise… Un point qui gouverne mais comme de loin, à distance, un point de silence, un point non défini autour duquel nous pouvons alors nous rassembler et nous parler. »
Le Fils de l’homme. Jésus ! Oui. Mais acceptons qu’il soit pour une part indéterminée, le Fils de l’homme et donc tous les hommes…
Mais alors comment l’adorer, l’aimer s’il est inconnu ?
Et bien restons dans la logique de l’évangile : En le servant dans celles et ceux que personne n’a envie de défendre, d’honorer : celles et ceux qui ont seulement faim, seulement soif. Celles et ceux qui ne revendiquent rien d’autre que d’être accueillis, habillés, visités, soignés…
Pourquoi le ferions-nous ? Parce que ce sont des filles et des fils d’homme. Nous ne nous trompons jamais en allant à leur rencontre. Il y a peu de chance que nous devions nous battre pour les servir, pas beaucoup de concurrence pour s’occuper des plus pauvres. Plus nous leur donnons, plus nous recevons. En les aimant, nous apprenons à adorer Dieu en vérité. Tout cela est juste à chaque fois. « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »
Moi, toi, c’est-à-dire qui à la fin ? A la fin. Gardons cette précieuse question, ce merveilleux inconnu pour le désirer de façon toujours plus juste jusqu’au jour où le fils de l’homme viendra.
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