top of page

Homélie de Bruno Lachnitt, diacre, pour le Jeudi-Saint


Nous fêtons en ce jeudi-saint le dernier repas de Jésus avec ses disciples, dans lequel nous voyons l’institution de l’eucharistie et paradoxalement l’évangile que l’Eglise nous donne à entendre est le seul qui ignore le récit de cette institution, qui ne mentionne pas les paroles que nous avons entendues dans la deuxième lecture de Paul : « ceci est mon corps » en partageant le pain rompu, et « cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi ».  Des quatre évangiles reconnus par l’Eglise comme étant parole de Dieu, celui de Jean est le seul qui ne raconte pas cela mais qui décrivant ce dernier repas de Jésus avec ses disciples rapporte seulement ce geste du lavement des pieds, omis par les autres. Et si l’Eglise choisit précisément ce récit pour le Jeudi-Saint, c’est qu’il y a un lien étroit entre tout ce que nous pouvons dire de l’eucharistie et ce geste.

Pour le comprendre, revenons au récit de l’institution que nous rapporte Paul dans la première épître aux Corinthiens et dont je vous invite à regarder le contexte. Juste avant, Paul reproche aux Corinthiens le désordre de leurs assemblées : d’une part parce qu’il existe chez eux des divisions, d’autre part, du fait leur dit-il, que « lorsque vous vous réunissez tous ensemble, ce n’est plus le repas du Seigneur que vous prenez ; en effet, chacun se précipite pour prendre son propre repas, et l’un reste affamé, tandis que l’autre a trop bu ». Leurs assemblées pour célébrer le « repas du Seigneur » étaient assez loin de nos liturgies ! Suit alors le passage que nous avons entendu et il ajoute quelques versets que nous n’aimons guère : « celui qui aura mangé le pain ou bu la coupe du Seigneur d’une manière indigne devra répondre du corps et du sang du Seigneur. On doit donc s’examiner soi-même avant de manger de ce pain et de boire à cette coupe. Celui qui mange et qui boit, mange et boit son propre jugement s’il ne discerne pas le corps du Seigneur ».

Pourquoi vais-je chercher ces versets désagréables ? Précisément parce qu’il me semble que le contexte nous invite à comprendre le verset qui parle de « discerner le corps du Seigneur » comme visant l’assemblée. Ce qui est visé, c’est de manger le pain consacré sans discerner le corps du Christ dans l’assemblée. Cela change un peu la perspective ! La communion n’est pas d’abord, ni seulement une affaire intime entre Jésus et nous. Benoit XVI écrivait dans Deus Caritas est : « Je ne peux avoir le Christ pour moi seul ; je ne peux lui appartenir qu’en union avec tous ceux qui sont devenus ou qui deviendront siens. » Quand nous mangeons ce pain et buvons à cette coupe, nous sommes appelés à devenir ensemble présence du Christ pour ce monde. On a malheureusement concentré sur le pain et le vin consacrés toute l’attention portée à la présence réelle du Christ, au détriment de sa présence dans l’assemblée qui le reçoit, en oubliant que l’eucharistie n’a de sens que de faire de nous le corps du Christ : devenez ce que vous recevez, nous le chantons…

Dans la liturgie eucharistique, le Christ est présent à travers sa Parole, par le prêtre qui préside en son nom, et dans le pain et le vin consacrés mais ces trois modes de présence visent à faire de nous tous le corps du Christ, afin que nous soyons ensemble présence du Christ au milieu du monde. Ne voir qu’un mode de présence au détriment des autres en ignorant leur finalité à toutes, c’est oublier que le don que le Seigneur a fait de lui-même est pour la gloire de Dieu et le salut du monde, comme nous le proclamons au début de la liturgie eucharistique en répondant à l’invitation du prêtre.

Mais, quand on a posé cela, il ne faut pas oublier que l’assemblée comme corps du Christ n’est pas l’entre-soi sympathique des cathos qui se retrouvent et le ministère de l’indigne diacre que je suis, signifie que la communion de l’assemblée comme corps du Christ est incomplète tant que le plus pauvre, le plus lointain, le plus exclu, n’est pas rejoint. C’est le cinquième mode de la présence réelle du Christ, complémentaire des quatre autres et incontournable. St Jean Chrysostome, docteur de l’Eglise qui a écrit de très belles choses sur l’eucharistie dit : « N’allons pas croire, qu’il suffit pour notre salut, après avoir dépouillé veuves et orphelins, d’offrir à l’autel un calice d’or incrusté de pierreries. (…) Veux-tu honorer le corps du Christ ? Ne le méprise pas quand il est nu ; après l’avoir honoré ici avec des vêtements de soie, ne le méprise pas dehors alors qu’il souffre du froid et de la nudité. »

Ici, on n’a plus trop de vêtements de soie, mais communier à la présence réelle du Christ dans l’eucharistie nous convoque à honorer en tenue de service la présence réelle du Christ dans les pauvres et c’est ce que nous dit cet évangile du lavement des pieds que la liturgie nous donne pour cette messe « en mémoire de la Cène du Seigneur ».

Que le respect envers les plus fragiles, les plus rejetés, soit le même que nous manifestons devant le corps du Christ, et inversement. Que l’eucharistie reçue nous entraîne à revêtir la tenue de service pour faire d’une fraternité sans exclusion le signe de la présence du Christ au milieu de nous. Amen !

Comments


bottom of page