Je voudrais attirer votre attention plus particulièrement sur la deuxième lecture de la lettre aux hébreux qui nous dit deux choses importantes.
D’abord Jésus est appelé notre frère ("Il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères") et il est présenté comme quelqu’un de crédible ("digne de foi") pour porter secours à ceux qui sont dans l’épreuve. Et s’il est crédible, c’est parce qu’il a lui-même traversé jusqu’au bout l’épreuve de sa passion.
Le Pape François vantait récemment dans un très beau texte les vertus de la littérature. Dans le journal d’un curé de campagne, Bernanos raconte la rencontre entre un jeune pauvre curé de campagne et une mère révoltée par la mort de son enfant, et ce jeune prêtre lui dit : « si notre Dieu était celui des philosophes et des savants, si haut que soit son trône dans les cieux, notre misère l’en précipiterait » autrement dit, il ne tiendrait pas la route, il ne serait pas crédible. "Mais, ajoute-t-il, le nôtre, vous pouvez l’insulter, lui cracher au visage, le renier, c’est déjà fait". Dans sa passion, le Christ a traversé tout cela, et c’est pour cela que notre Dieu est crédible, qu’on peut lui faire confiance, baisser la garde devant lui. Il a partagé notre condition et traversé la mort.
La mort c’est le pouvoir du diable nous dit aussi l’épître aux Hébreux, et ce pouvoir nous maintient en esclavage, mais le Christ-Jésus nous rend libres. Une vie cachée, un film de Terrence MALICK sorti en 2019, raconte l’histoire vraie d’un paysan autrichien qui a refusé pendant la deuxième guerre mondiale de prêter serment de fidélité à Hitler. L’Autriche avait été annexée par le Reich, et tout soldat mobilisé devait prêter serment de fidélité au Führer. Et cet homme simple, profondément chrétien, voyait bien l’injustice du régime nazi, son incompatibilité avec sa Foi, et sa conscience lui dictait qu’il ne pouvait pas prêter ce serment. Et refuser de prêter serment, c’était être considéré comme un traître, être emprisonné et condamné à mort. Et le film raconte son cheminement, celui de sa conscience. Il a une femme et deux filles, et le débat intérieur est terrible, car si sa décision le conduit à la mort, les conséquences sont aussi terribles pour celles qui lui sont le plus chères. Tout le monde tente de le convaincre de renoncer à sa conscience, à commencer par l’évêque. Son avocat à un moment vient le voir avec un papier à signer et lui dit : « tout est arrangé, vous ne combattrez pas, vous servirez comme infirmier, ce serment personne n’y accorde d’importance, ce ne sont que des mots, signez ce papier et vous êtes libre ! » Et lui le regarde en souriant et lui répond : « mais je suis libre ! » Cela fait écho à ce passage de l’épître aux hébreux : « il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves ». C’est un film très fort sur l’absolu de la conscience, le temple de Dieu en nous, nous dit le Concile Vatican II.
La mort c’est le pouvoir du diable, nous dit donc ce texte de l’épître aux hébreux. Il n’y a pas beaucoup d’endroits où le Nouveau Testament parle du diable. Ce nom vient d’un mot grec, diabolos, qui désigne ce qui divise, c’est le diviseur par excellence. Nous savons que le mal en nous vient de plus loin que nous, que le mal dans le monde qui nous entoure vient de plus loin que ceux qui le commettent, et nous ne pouvons jamais en vérité identifier quelqu’un au mal. Mais il est de notre responsabilité, chacune et chacun, de choisir en qui nous mettons notre foi, et le Christ-Jésus, cette figure de Dieu crédible, nous libère du diviseur, est plus fort que celui qui veut nous asservir.
Aujourd’hui nous fêtons la présentation de l’enfant Jésus au temple, fête de la lumière mais aussi journée mondiale de la vie consacrée, et la liturgie des heures nous invite à dire chaque soir ce cantique du vieux Siméon : maintenant, tu peux laisser ton serviteur s’en aller car mes yeux ont vu le Salut. Mais déjà se profile la croix par l’annonce qu’il fait à Marie à propos de l’enfant : « Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. » Face à ce signe de contradiction nos pensées aussi ne sont-elles pas dévoilées ? Puisse la lumière du Christ que nous fêtons aujourd’hui éclairer notre conscience, puissions-nous lui laisser un espace en nous et l’écouter, même si cela a un coût. Qu’elle nous conduise à prendre appui sur ce Jésus qui est crédible dans l’épreuve, pas de manière magique, mais comme ce frère qu’il est devenu pour nous, qui a traversé devant nous et qui nous donne son Esprit pour que nous devenions libres comme lui. Libres comme lui, la vie religieuse en est un signe au milieu de nous, mais pour nous signifier que c’est la vocation de chacune et chacun d’entre nous d’être libre comme Lui, c’est le projet de Dieu pour nous. Ainsi soit-il !
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