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Service évangélique des malades (SEM) 

Cette solidarité, ce « prendre soin », je ne l’ai pas choisi. C’est en septembre 2018  qu’Yves Longin m’a demandé de soutenir l’équipe d’aumônerie des Hibiscus, le jour de la  messe mensuelle. Je venais de mettre fin à mon bénévolat à Médecins di Monde. J’ai  donc accepté ce service. Mais très vite, l’équipe (88 ans, 89 ans et 90ans) sentant une  petite relève a déclaré forfait et je me suis retrouvée seule, ceci pendant 2 ans.  Heureusement, l’équipe administrative et soignante m’a fait bon accueil. Maintenant,  nous sommes 2 pour les visites, Jean-Yves et moi, et Roland nous rejoint le jour de la  messe mensuelle. Être bénévole au titre du SEM donne une certaine responsabilité. Bien  sûr, nous avons à apporter écoute, réconfort et chaleur humaine, mais aussi la Bonne  Nouvelle de Jésus-Christ. Je vais essayer de vous dire comment je vis cette exigence. 
Les Hibiscus, ce sont 4 étages, l’un, fermé, réservé exclusivement aux personnes atteintes  de graves troubles cognitifs, essentiellement d’Alzheimer. Un autre, fermé lui aussi, mais  avec des résidents moins atteints, et les 2 autres étages, avec des personnes fatiguées,  plus ou moins en fin de vie, ou relevant de soins de longue durée.  
Autant dire que ce n’est pas évident d’entrer en contact avec certains.  A chaque nouvel arrivant, nous allons le rencontrer dans sa chambre. Nous nous  présentons faisant partie de l’équipe d’aumônerie, proposant notre présence fraternelle  pour les non-chrétiens. Le contact, c’est souvent par les photos sur les murs, les familles  présentes, surtout quand la personne ne parle pas. Parfois un prénom prononcé réveille  quelque chose, comme chez cet homme qui tout à coup, au prénom de Clémence,  prononcé je ne sais plus pourquoi, s’est mis à nous parler de sa grand-mère qui portait ce  prénom et de toute son enfance. Si la personne ne parle pas et qu’on ne rencontre pas la  famille, nous sommes en difficulté de relation. Les soignants ne peuvent rien nous dire,  étant tenus au secret professionnel.  
Un livre sur une table, de très rares fois (mais cela arrive) une bible. A partir de là, on  essaie de comprendre un peu mieux la personne, et ce qu’a été sa vie.  La régularité est essentielle, afin de faciliter la connaissance. Ils nous repèrent, nous  attendent. Nous prenons du temps, par une écoute que nous espérons attentive. Il faut  aussi savoir apporter la vie, la nôtre, celle du monde.
Comme Jean-Yves parlant de sa sortie à vélo du week-end, et la personne lui  répondant : « Ah ben, moi aussi, j’ai fait du vélo dimanche dernier. Je vais toujours sur  telle route… ». Du coup, on connaît un peu mieux le résident et ces centres d’intérêt.  Au début de leur séjour, ils disent « Pourquoi je suis là ? j’aurais pu rester chez moi ».  On entend aussi parfois : « A quoi je sers ? » ou « j’en ai marre ». Et vers la fin qu’ils  sentent venir « j’ai peur ». 
Souvent, le découragement nous guette, on se dit, mais qu’est-ce que je fais ici ? J’ai  l’impression que je ne peux ou ne sais rien leur dire de ce qui m’habite, de ce qui me  nourrit, me fait vivre. Et puis, ce jour-là, un petit signe : comme cette femme, atteinte  d’Alzheimer, parlant encore, qui me voit et me dit « j’ai quelque chose pour vous ».  Elle m’emmène dans sa chambre, fouille ses tiroirs, ne sait plus ce qu’elle cherche et  tout à coup, me sort un petit ange, qu’elle me donne.  
Les familles apprécient notre présence. Déroutées par tout ce qui leur arrive :  séparation d’un parent, discussion parfois difficile avec les soignants et les médecins,  organisation du vestiaire, aménagement de la chambre, ils peuvent nous parler de  tout cela et nous disent facilement : « ma mère, mon père, allait à la messe le  dimanche. Quand il y en aura une, il faudra venir le chercher ». Ce que nous essayons  de faire, si la personne ne perturbe pas trop la célébration. 
Quand nous parlons religion, foi, Dieu, et qu’il y a une demande de prier, je fais  souvent référence à la patience, à la miséricorde de Dieu, j’appelle à la confiance en ce  Dieu qui aime chacun de nous. Je m’appuie sur 2 ou 3 psaumes de référence que je lis  volontiers. Les psaumes, appel de l’homme souffrant, qui exprime sa colère, sa  détresse et qui se terminent souvent par la reconnaissance de ce Dieu de miséricorde.  
Il y a peu de demandes de sacrements, mais les rares fois où nous l’avons vécu, j’ai été  émerveillée de sentir cette foi si vivante. Comme cet homme, grabataire aveugle, et  sourd (il fallait lui parler dans l’oreille gauche très fort), qui a tendu spontanément les  mains, ouvertes, pour qu’elles soient marquées du signe de croix.
Une famille, sentant que la fin de leur père approchait, père qui ne parlait pas,  réagissait très peu aux stimulations, a demandé que le prêtre vienne. C’était une  période pendant laquelle Bruno n’était pas libre. Après discussion, on a organisé une  prière autour de lui, à la chapelle avec sa femme et ses enfants, tous de villes  différentes, l’un devant subir une intervention chirurgicale importante, mais tenant à  être là. Cela a été un moment très fort, chaque enfant parlant dans l’oreille du père,  puis nous l’avons béni à tour de rôle. Le père étendant les mains pour la prière du  Notre Père. Bruno est venu 3 jours après, rencontrer cet homme. Et ce monsieur est  décédé une semaine plus tard.  
Un dernier exemple : en me voyant arrivée, les soignants me disent « ah vous êtes là,  il faut absolument aller voir cette dame, il y a sûrement un problème de pardon ». Je  ne la connaissais pas encore. Je suis allée dans la chambre, nous avons fait  connaissance, puis je lui ai proposé la visite du prêtre. Elle était d’accord. J’ai continué  à aller la voir toutes les semaines. Un jour, elle a exprimé le désir de participer à la  messe. L’année suivante, elle a demandé le sacrement des malades et d’autres  personnes se sont jointes à elles. Nous avons pris l’habitude de prier et partager  l’évangile toutes les semaines, je lui portais également la communion. Un jour  pendant que je lisais l’évangile, la porte de la chambre s’est ouverte, je n’ai rien vu,  mais tout à coup, une petite voix a dit en posant le goûter sur la table « Dieu vous le  donne ». Manière pour le soignant de s’excuser de cette interruption et de se joindre  à notre prière. Puis cette dame a voulu préparer ses funérailles, car elle voulait  protéger sa sœur qui venait de perdre son mari, son frère et son beau-frère en très  peu de temps. J’ai pu être présente à ses funérailles, et la famille m’a demandé  d’intervenir. 
Quand je vois certains résidents accueillir les nouveaux, leur ouvrir le chemin de la  chapelle, je suis toujours touchée : ils agissent en vrais témoins. Ce qui me touche  également, c’est leur foi toute simple, mais vraie. Comme cette dame qui, après avoir  communié, dit simplement, tout haut : « Merci, mon Dieu. Pitié pour moi ». Et Bruno  nous a fait reprendre à la fin de la célébration la prière de Germaine : « Merci, mon  Dieu, priez pour moi. »  
Bien sûr, nous ne sommes pas lancés sans formation. La pastorale de la santé propose  des journées annuelles sur un thème, par exemple : « La vulnérabilité, une force  méconnue et inattendue », « Le silence de Dieu » et la dernière en date : « De  l’espérance en miettes aux miettes d’espérance ». Il y a également des propositions de  formation qui couvrent quelques semaines sur l’approche de la fin de vie, sur la  gériatrie...
Il me semble important de se former pour éviter de se laisser envahir par les  émotions, même si certaines personnes nous touchent particulièrement. 
En conclusion, je dirai que je suis émerveillée du chemin parcouru par les personnes,  de la grâce de Dieu qui les habite, de la simplicité de leur foi. Je rends grâce de les  accompagner sur ce chemin de foi, sur ce chemin d’humanité. Et lorsque je doute, je  pense à cette phrase du Père Varillon, jésuite : « Dieu divinise ce que l’homme  humanise.» C’est là toute ma foi.  
Bernadette Labat. Équipe SEM 

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Le matin du 3ème jour

La peinture qui illustre cette page est de Françoise Michaely

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